
Mémoire
Nous le verrons, la question de l’influence des médias sur la société n’est pas nouvelle. Et comme le rappelle l’Union européenne dans une communication en 2003[2], « les médias jouent un rôle capital dans la bonne marche de nos sociétés démocratiques modernes ainsi que dans le développement et la transmission de valeurs sociales. Ils exercent une influence profonde sur ce que savent, pensent et ressentent les citoyens ».
La thématique de la responsabilité des médias connaît un véritable renouveau depuis une dizaine d’années. Aussi, avant de nous concentrer sur les univers du divertissement et de la fiction, il convient de faire un bref état des lieux de la RSE des médias.
Les médias et leur(s) responsabilité(s)
La RSE correspond à la déclinaison du développement durable au sein des entreprises. Nous entendons ici le « développement durable » au sens du rapport Brundtland (1987), à savoir « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »[3]. Cette définition mobilise toutes les facettes d’une activité pouvant impacter la société. Or, force est de constater que le langage courant a eu tendance à restreindre l’expression de « développement durable » à ses dimensions environnementales ou écologiques, occultant souvent les aspects sociaux, sociétaux, ou même de bonne gouvernance, qui lui sont pourtant inhérents.
C’est pourquoi nous préfèrerons utiliser ici la notion de « responsabilité d’entreprise » qui permet d’embrasser toutes les dimensions. Il s’agit en effet, comme l’a défini la Commission européenne en 2012, de « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société »[4], que ces effets soient sociaux, sociétaux, environnementaux ou économiques.
Les médias - pluriel du latin medium désignant l’ensemble des moyens de diffusion large et collective de contenus, quel qu’en soit le support - constituent un secteur regroupant les acteurs contribuant à la production et/ou à la diffusion de contenus.
Si, aujourd’hui, la RSE des médias n’en est qu’à ses balbutiements, nous pensons que cela est notamment dû à cette méprise (ou raccourci – délibéré ou non) opérée sur le concept même de développement durable. En effet, hormis certains impacts environnementaux directs concernant telle ou telle composante du secteur des médias, comme la consommation de papier pour les médias imprimés par exemple, ce secteur d’activité ne figure pas parmi les plus polluants. Les enjeux environnementaux étant les plus « concrets » et les plus discutés, les entreprises du secteur des médias n’ont jusque là pas été positionnées en première ligne des attentes en matière de RSE.
Mais ceci est train d’évoluer. En effet, partant de la définition plus complète de la RSE présentée plus haut, le champ de la responsabilité des entreprises du secteur des médias nous apparaît à la fois extrêmement spécifique et bien plus riche que son seul volet environnemental. Si certains enjeux de responsabilité sont communs à toute autre activité (accompagnement des salariés, contribution à l’économie locale, gestion optimale des ressources naturelles,…), force est de constater que les médias occupent une place particulière dans la société et ont, par conséquent, des enjeux de responsabilité – sociétaux notamment – qui leur sont propres. Ainsi, le supplément sectoriel média[5] de la Global Reporting Initiative (GRI), publié en mai 2012, établit le rôle essentiel joué par les entreprises du secteur des médias vis-à-vis de la société autour des axes suivants : liberté d’expression, information et éducation, pluralisme et diversité, contre-pouvoir, expression culturelles et cohésion sociale, interaction avec le public, sensibilisation aux différents enjeux du développement durable, « empreinte sociétale » (ou influence) des contenus.
Ce supplément sectoriel médias est l’une de ces initiatives, internationales et nationales, qui ont vu le jour depuis la fin des années 2000 afin d’identifier les enjeux spécifiques de RSE pour le secteur des médias[6]. Cette évolution relativement récente et cette singularité de la RSE des médias sont rappelées dans le Guide pratique « La RSE dans le secteur des médias », publié en mars 2014 par le Forum RSE des médias sous l’égide de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) :
« Les entreprises du secteur des médias sont encore rarement associées au développement durable, hormis pour évoquer la couverture médiatique qu’elles en font. (…) mais, dans la dernière décennie, la notion de "responsabilité sociétale" s’est imposée avec une vision plus systémique. (…) S’inscrivant dans cette dynamique, les entreprises du secteur des médias – dont les principaux impacts sont liés aux contenus produits et diffusés – sont appelées à délivrer à leur parties prenantes davantage d’informations sur leurs propres enjeux. »[7]
Certains vont jusqu’à parler de pollution des cerveaux et de « brainprint » pour marquer, en écho à l’empreinte environnementale (« footprint »), cette spécificité des médias.
Les médias, de l’information au divertissement
Comme le soulignent le supplément sectoriel médias de la GRI ou le Guide pratique « La RSE dans le secteur des médias », le secteur qui nous intéresse est à géométrie variable. Ainsi, « Le terme "média" a tendance à n’être entendu qu’au sens du mot "presse", au risque de ne rimer qu’avec "journalisme". Mais, si l’on se réfère aux standards de classifications sectorielles[8], le secteur inclut plus largement la production et la distribution de contenus, l’information et les programmes de divertissement, quel que soit leur support de diffusion »[9].
Cette simplification du secteur (médias) à ce sous-secteur (journalisme) a conduit à la prédominance des enjeux de responsabilité des médias liés à l’éthique journalistique. La déontologie et l’éthique sont au journaliste professionnel ce que le serment d’Hippocrate est au médecin : plusieurs codes ou chartes régissent son activité, parmi lesquels la Déclaration de principe de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) sur la conduite des journalistes[10] entérinée en 1954, ou la Charte d’éthique professionnelle des journalistes[11] adoptée par le Syndicat national des journalistes (SNJ) en mars 2011. La carte de presse délivrée par la FIJ depuis soixante ans atteste d’ailleurs « que son détenteur s’engage à respecter le Code d’Ethique de la FIJ, l’ensemble de principes et de normes pour l’exercice du journalisme le plus reconnu au monde ».
Concernant les autres programmes, si certains principes fondamentaux figurent dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) rappelle que « les obligations déontologiques se sont essentiellement traduites dans les conventions conclues avec les éditeurs privés et les cahiers des charges des éditeurs publics »[12]. Il n’y a donc pas de code éthique « général » auquel se référer en matière de création de contenus de divertissement.
[1] RSE : Responsabilité sociale ou sociétale des entreprises.
[2] Communication de la Commission « L’Avenir de la politique de la réglementation européenne dans le domaine de l’audiovisuel », 15/12/2003 COM(2003) (p. 3).
[3] Rapport Brundtland, Our common future, 1987, Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies.
[4] Nouvelle stratégie sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), Commission européenne, octobre 2011. (p. 7).
[5] Le supplément sectoriel média de la GRI a été élaboré par un groupe de travail international et multipartite. Une traduction en français est publiée par le Forum RSE des médias sur lise site Internet de l’ORSE.
[6] Parmi lesquelles : le Groupe de travail international de la Global reporting initiative (supplément sectoriel publié en mai 2012), le Media CSR Forum (Royaume-Uni, étude Mirrors or Movers? publiée en juin 2013), ou encore le Forum RSE des médias (France, Guide pratique « La RSE dans le secteur des médias », publié en mars 2014).
[7] Guide pratique « La RSE dans le secteur des médias », mars 2014, Forum RSE des médias & ORSE (p. 3).
[8] Notamment celles utilisées par les agences de notation comme le GICS - Global Industry Classification Standard (pour lequel les médias regroupent aussi la radiotélévision, les films et divertissements) ou l’ICB - Industry Classification Benchmark (qui identifie l’« audiovisuel et [les] divertissements », à savoir les « producteurs, exploitants et diffuseurs d’émissions de radio, télévision, films et musique de divertissement »).
[9] Guide pratique « La RSE dans le secteur des médias », op. cit. (p. 7).
[10] Site de la FIJ.
[11] Site du SNJ.
[12] Site du CSA.
Avant-propos : La RSE[1] des médias
Lecture linéaire du mémoire
"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"
Réflexion sur la notion de divertissement responsable,
dans le contexte audiovisuel français