
Mémoire
Notre étude est partie d’un constat, celui de l’émergence d’une responsabilité des médias dont le périmètre semblait souffrir d’une double restriction : d’une part liée au biais environnemental de l’appréhension des impacts des médias, et d’autre part liée à la domination des contenus journalistiques dans les réflexions sur la déontologie. Dans ce cadre, nous nous demandions dans quelle mesure les programmes de divertissement tels que les séries télévisées comprenaient des enjeux de responsabilité sociétale significatifs. Cela nous a également conduit à mener une réflexion concomitante sur la notion de divertissement responsable, et ce dans le contexte audiovisuel française actuel.
Nos recherches et les entretiens très constructifs que nous avons pu réaliser ont rapidement récusé la proposition d’une déontologie du divertissement. En effet, dans une industrie déjà fortement alourdie par des contraintes réglementaires ou financières, cela ne viendrait que freiner encore davantage les processus créatifs déjà à la peine. Pour autant, l’influence potentielle – positive ou négative – des séries sur leurs téléspectateurs est telle que l’existence d’enjeux de responsabilité sociétale spécifiques à ce type de programme est confirmée.
Les recherches dans le domaine de la RSE des médias interrogent sur le statut des contenus médiatiques vis-à-vis de la société : sont-ils uniquement des miroirs censés la refléter ? si oui, comment la refléter sans biais ? Ou doivent-ils aller plus loin et endosser un rôle de moteur de la société pour la faire avancer ? si oui vers quoi, vers où ? Ces questions ont continuellement guidé notre réflexion et nous ont conduit à considérer à la fois des enjeux de responsabilité liés à la fonction de miroir et d’autres à la fonction de moteur.
Il convient cependant de nuancer notre propos. En effet, depuis toujours les expressions artistiques en tous genres sont liées à un projet politique. Tout comme les cinémas hollywoodien et soviétique ont pu être, à leurs débuts, marqués par l’idéologie voir la propagande, on est en droit de se demander en quoi les séries télévisées échapperaient à cette logique.
Dans le cadre de nos recherches, nous avons été amenée à montrer qu’au sein du genre sériel cohabitent à la fois des chefs d’œuvre et de « simples » contenus de divertissement. Nous ne réfutons pas le besoin de plaisir, de distraction ou d’évasion que ces derniers sont en mesure de satisfaire chez le téléspectateur. Mais nous estimons que ce divertissement peut être responsable, et ce sans risquer de brider la création.
De plus, nous estimons qu’il est de la responsabilité des chaînes, en particulier les chaînes gratuites et du service public, de ne pas proposer uniquement des séries de divertissement, mais également des fictions de qualité (au sens où nous avons pu le définir). Nous avons en effet noté que l’univers des séries télévisées n’est pas du tout démocratique. Ainsi, les « riches » ont accès aux chaînes payantes, lesquelles leur offrent des contenus de qualité. Les « pauvres », eux, doivent « se contenter » des chaînes gratuites, qui ont davantage tendance à orienter leur stratégie vers des programmes les plus consensuels possibles.
Aussi des chaînes comme TF1 ou celles du groupe France Télévisions endossent-elles une responsabilité particulière puisqu’elles devraient faire en sorte de restreindre la « fracture sérielle »[1]. Il leur faut renouer avec une ambition artistique en matière de séries et elles doivent être soutenues dans cette démarche.
Fortement en retard par rapport au reste du monde, le genre sériel n’est pas encore considéré en France à sa « juste » valeur. Nous parlons ici autant de ses valeurs esthétiques que de ses valeurs économiques, morales, culturelles ou pédagogiques. La nature et l’ampleur des enjeux de responsabilité qui lui sont associés permettent pourtant d’en apprécier le potentiel créatif et confirment l’attention qu’il faut lui accorder. La fiction française est à un tournant et doit se réinventer, se (re)trouver et s’affirmer tant dans l’hexagone qu’à l’étranger.
« [La] fiction est aujourd’hui un élément clé de la constitution du lien et c’est la raison pour laquelle il faut qu’on soit extrêmement exigeants, qu’on ait cette vision d’une société qui bouge, qui progresse avec tous les talents. »[2]
Rémy Pflimlin, Président directeur général de France Télévisions
A l’occasion de cette étude, nous avons eu l’occasion de rencontrer des professionnels passionnés et passionnants, cependant nous n’avons pas pu échanger avec l’ensemble des représentants de l’industrie du divertissement, ni avec tous les acteurs du processus de création d’une série télévisée. Par conséquent, nos réflexions ne peuvent prétendre couvrir l’ensemble du paysage audiovisuel. Par ailleurs, nous aurions pu conduire une enquête auprès des téléspectateurs eux-mêmes, dans la lignée des Cultural Studies, afin d’apprécier leurs attentes et ressentis en matière de responsabilités des séries. De même, il aurait été intéressant d’analyser de manière plus approfondie une ou deux séries télévisées françaises aux regards des enjeux de responsabilité identifiés.
Nous nous sommes volontairement concentrés ici sur le contexte audiovisuel français. Un axe de recherche complémentaire fondé sur des comparaisons, notamment avec les pays européens par exemple, permettrait certainement d’enrichir nos pistes de réflexion ainsi que nos préconisations.
Outre cette ouverture géographique, une profusion de sujets sous-jacents ou connexes à la problématique des enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées mériterait d’être explorée.
Comme nous avons eu l’occasion d’en discuter lors de nos entretiens, qu’il s’agisse des formats (renouveau de la fiction française avec des programmes courts ou la scripted reality par exemple), des sujets et intrigues (manière dont les séries elles-mêmes produisent une image de l’industrie du divertissement ou de l’information), des genres (les soap opera ou les drama sont-ils plus propices que d’autres pour faire passer des messages ?), ou encore de leur portée symbolique (elles peuvent être des vecteurs de normalisation, pourraient-elles être des vecteurs de mobilisation ?), les séries télévisées sont un objet d’étude sérieux, divertissant, passionnant et sans fin.
La suite au prochain épisode…
[1] Langlais, Pierre. « La fracture sérielle se creuse… ». Têtes de séries, blog de Slate, 15/09/2013.
[2] Discours de clôture de la deuxième édition du colloque « En avant toutes ! » de France Télévisions, 11/03/2014.
Conclusion
Lecture linéaire du mémoire
"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"
Réflexion sur la notion de divertissement responsable,
dans le contexte audiovisuel français