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Mémoire > 2ème partie / Les séries télévisées, miroirs ou moteurs de la société :

   des enjeux de responsabilité spécifiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.1.1.   La fiction comme miroir de la société

 

Réaliste ou non, toute fiction dit quelque chose de la société. Les séries historiques présentent un certain regard sur notre passé, les séries d’anticipation ou de science-fiction révèlent nos angoisses, nos rêves d’ailleurs ou d’autrement. Quels que soient leurs intrigues ou leurs univers fictionnels, Arnaud Jalbert nous confirme que « les séries sont le reflet de leur époque, de ses obsessions, de son esthétique, de ses interrogations »[1].

 

 

Se regarder soi-même

 

La série télévisée est une forme artistique où cohabitent des œuvres d’art et des « simples » divertissements. De tout temps, « l’art est ce qui permet à une époque de se regarder elle-même, de mettre à distance ses idéaux et ses contradictions »[2]. Aujourd’hui genre majeur du petit écran, il est légitime de se demander si elles ont repris ce rôle assuré par « la tragédie chez les Grecs, la perspective à la Renaissance, le roman pour le Grand Siècle »[2].

 

Dans le cadre d’une étude de plus de mille synopsis adressés à France 2 au début des années 1990, Sabine Chalvon-Demersay constatait que tous ces auteurs-individus, professionnels ou amateurs, avaient imaginé des univers fictionnels très proches : « un monde défait, précaire, qui ne sait quel sens donner à sa soif de liberté. Un monde qui a le blues »[3]. En cherchant à anticiper, volontairement ou involontairement, les attentes des diffuseurs et du public, ces scénaristes ont révélé une atmosphère générale de la société de l’époque. La sociologue conclut de son ‘enquête sur l’imagination en temps de crise’ que les feuilletons télévisés peuvent « instruire notre connaissance de la société »[4].

 

 

Se donner à voir

 

Une des critiques adressées depuis les années 1990 à la fiction française est son manque de réalisme. Et ce sentiment est renforcé par deux éléments : les scénaristes américains y parviennent bien mieux dans leurs séries, lesquelles sont diffusées en grand nombre dans l’hexagone. Le contraste est d’autant plus marquant. Ainsi, Martin Winckler estime que si les « Votre honneur » résonnent dans les salles d’audience des tribunaux français, si « les prévenus prennent la justice française pour le système pénal américain », c’est d’une part parce que nous avons très peu de séries judiciaires françaises, mais qu’en plus, « la télévision française ne se soucie pas du réel »[5].

 

Pour certains, cela vient d’une « acculturation, voire d’une américanisation de nos jeunes esprits, qui passent beaucoup de temps devant la télévision »[6]. Comme nous l’explique Tristan Garcia, cela est dû notamment au fait que « l’Amérique elle-même (…) a conscience, (…) qu’elle est en train de faire passer son image beaucoup plus dans la télévision que dans le cinéma»[7]. Ainsi, les Etats-Unis montrent ce qu’ils ont envie que les autres, que le monde, voient et pensent d’eux. Les séries américaines « véhiculent l’American Way of Life : leur achat et leur diffusion dans le monde entier est un facteur d’américanisation des sociétés »[8].

        

Pour Françoise Laborde, cela relève d’une question de responsabilité, puisqu’une série « donne à voir sur la culture d’un pays ».

 

« A partir du moment où on est nourri de séries américaines, (…) où on reproduit des modèles américains quand on fabrique des séries françaises, on est quand même dans une logique et dans une culture qui ne sont pas complètement les nôtres. »[9] 

 

Ainsi, les séries ne sont pas uniquement des programmes audiovisuels, mais aussi des « œuvres culturelles, qui transmettent une certaine vision du monde et une certaine façon de narrer » comme l’explique Sarah Hatchuel[10].

 

 

Affirmer son style, son savoir-faire ?

 

Etant donné le « formatage » du public français, marqué par les séries américaines, habitué au rythme et au style de leurs séries, nous pouvons même nous interroger - à l’instar de Françoise Laborde - « si demain, il y avait des séries françaises avec une façon de fabriquer française, si le public pourrait [y] adhérer? »[9].

 

A cet égard, Arnaud Jalbert déplore que certaines chaînes, Canal+ pour ne pas la nommer, se tournent de plus en plus vers les coproductions internationales. Si la stratégie est justifiée pour des raisons économiques, il y voit malgré tout un risque de perte d’ « originalité », d’identité. Ce qu’il aime dans une série, c’est en ressentir sa culture d’origine, y (re)trouver des singularités visuelles et culturelles : « quand je vois une série suédoise, ce que j’aime c’est que je sens que c’est une série suédoise, pareil quand je vois une série britannique, une série américaine, une série israélienne »[1].

 

 « Reste que la fiction française se heurte à de très nombreux tabous et peine à retranscrire la réalité quotidienne, sociale et politique, amoindrissant ainsi grandement sa fonction de miroir de la vie. De ce point de vue, l’assaut sera mené sur un front inattendu, celui des séries quotidiennes. »[11]

 

Par cette observation, Sullivan Le Postec sous-entend clairement que des séries comme Plus belle la vie ont réveillé la fiction française. Sans doute parmi les séries les plus réalistes du petit écran pour Jean-Yves Le Naour, « incontestablement, le feuilleton cherche à refléter son époque »[12] :

 

« Plus belle la vie, qui porte l’ambition de parler du monde tel qu’il est à travers la chronique d’un quartier, d’être un "laboratoire humain" et une caisse de résonance de problèmes de société contemporains, dit quelque chose de la France et des Français. »[13]

 

Ainsi, pour Marie Guillaumond de TF1, « la fiction raconte la société, les problèmes auxquels on est confrontés»[14]. De même pour Arnaud Jalbert qui y voit l’une des vertus des séries : « (…) pour leur capacité à un moment à effectivement exprimer une forme de catharsis, ou en tout cas un miroir de la société, elles sont vraiment indispensables »[1].

 

 

 

 

[1] Entretien avec Arnaud Jalbert, Conseiller de programmes Fiction, Arte France.

[2] Aeschimann, Eric. « De ‘Mad Men’ à ‘The Wire’ : le monde moderne vu par les séries ». Le Nouvel Observateur, 9/07/2012.

[3] Jacqueline, Rémy. « Scénarios d’en France ». Archives de L’Express, 21/04/1994.

[4] Cardon, Dominique. « Mille scénarios (Sabine Chalvon-Demersay) » Réseaux, 1994, (p. 193-195).

[5] Winckler (Martin). - Petit éloge des séries télé. op. cit.

[6] Garapon (Antoine). - Préface in Villez (Barbara). - Séries télé : visions de la justice, op. cit. (p. 6).

[7] Entretien avec Tristan Garcia, co-directeur de la série des séries, collection sur les séries télévisées aux PUF.

[8] Smadja, Benjamin et Braizaz, Marion « Quelle est la recette des séries américaines ? ». Influencia, 8/05/2014.

[9] Entretien avec Françoise Laborde, Membre du CSA.

[10] « Des séries télé devenues des objets d’étude », i24news.tv, 5/12/2013.

[11] Le Postec (Sullivan). « Le renouveau de la série française », in Martin Winckler, Le meilleur des séries, Paris, Hors collection éditions, 2007, (p. 132).

[12] Le Naour (Jean-Yves). – Plus belle la vie : la boîte à histoires, op. cit.  (p. 108).

[13] Le Naour (Jean-Yves), ibid. (p. 9).

[14] Entretien avec Marie Guillaumond, Directrice adjointe à la Direction artistique de la fiction de TF1.

2ème partie

2.1. Refléter la société, une ambition sérielle
2.1.1. La fiction comme miroir de la société
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Lecture linéaire du mémoire

"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"

Réflexion sur la notion de divertissement responsable,

dans le contexte audiovisuel français

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