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Mémoire > 2ème partie / Les séries télévisées, miroirs ou moteurs de la société :

   des enjeux de responsabilité spécifiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2.3.2.   Préparer et changer les mentalités

 

 

La normalisation de l’homosexualité

 

Depuis 2004, Plus belle la vie a révolutionné les « mœurs télévisuelles » du PAF. Les scénaristes portent à l’écran des couples homosexuels, tant masculins que féminins. Ce faisant, ils inscrivent « l’homosexualité comme une donnée normale et non comme un problème »[1]. En montrant leur quotidien tout aussi banal que celui des couples hétérosexuels, le feuilleton a largement contribué à faire évoluer l’avis d’une certaine partie de son audience.

 

Sarah Belhassen, est assez fière d’avoir pu, avec cette série, faire « un peu bouger les lignes chez les gens qui (…) regardent [le feuilleton] »[2].

 

« Je pense quand même, qu’à leur insu, le petit travail de formatage intellectuel, que j’assume en tout cas sur ce sujet là sans souci, a quand même dû leur faire faire du chemin. Il y a dix ans, certaines personnes n’avaient jamais croisé un homosexuel de leur  vie, au moins là elles en voient à l’écran. »[2]

 

Pourtant, en adoptant ce parti-pris, France 3 prenait le risque de se mettre une partie de la population à dos. D’après la scénariste, les téléspectateurs de Plus belle la vie apprécient quand leur feuilleton aborde des thématiques susceptibles d’être « sensibles ». Les succès d’audience restent au rendez-vous.

En 2007, le médiateur des programmes de France Télévisions a reçu un courrier d’un téléspectateur « scandalisé par un baiser entre deux hommes ». Selon lui, Plus belle la vie « nous impose l’homosexualité ». La réponse apportée par le médiateur nous semble d’un grand intérêt : 

 

« L’objectif de ce programme n’est certes pas de promouvoir l’homosexualité mais bien plutôt de se faire l’écho d’une réalité qui, en l’occurrence, peut être celle de milliers de couples. Par ailleurs, en tant que chaîne généraliste, France 3 a l’obligation, telle que stipulée dans son cahier des missions et des charges, d’être la télévision de tous les citoyens. »[3]

 

Après avoir relaté cette anecdote, Jean-Yves Le Naour souligne que « France 2 diffuse "Le jour du Seigneur" le dimanche matin, sans que les athées parlent la messe imposée aux téléspectateurs »[3].

En juillet 2013, quelques semaines seulement après l’adoption de la loi, les scénaristes de Plus belle la vie ont à nouveau bousculé les mentalités en tournant le premier mariage homosexuel (cf. illustration ci-dessous). Dans un style différent, mais tout aussi prompt - si ce n’est plus - à déranger certains préjugés, les auteurs de la série Ainsi soient-ils d’Arte ont également intégré le traitement de l’homosexualité, au sein de l’Eglise donc.

 

Figure 12 : Deux séries françaises abordant l’homosexualité
(Plus belle la vie et Ainsi soient-ils)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’effet de rétroaction en politique

 

« Barack Obama a-t-il gagné la présidentielle américaine de 2008 grâce aux personnages de David Palmer (24 heures chrono) et de Matt Santos (The West Wing) ? »[4]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette question, certes un peu provocatrice, aborde un aspect tout à fait particulier qui est celui de l’effet de rétroaction, ou de « prophétie auto-validante » comme a pu l’appeler Catherine Lottier[5]. Sans aller jusqu’à affirmer que l’élection du président de l’une des plus grandes puissances du monde s’est jouée entre les lignes d’un scénario de feuilleton télévisé, nous montrerons que ces fictions peuvent néanmoins jouer un rôle non négligeable.

Dans son documentaire, intitulé Mister President, Maurice Ronai révèle l’effet de rétroaction entre la représentation du président américain des fictions et le réel président : « la réalité a influencé la fiction qui, à son tour, quelques années plus tard, a influencé la réalité »[4]. Tristan Garcia nous a expliqué en quoi l’influence a été réciproque :

 

 « Ces séries américaines, comme A la Maison Blanche, s’inspiraient de la réalité pour produire un idéal de certaines figures politiques qui, dix ans après, devenaient à l’inverse le modèle des hommes politiques. »[6] 

 

Ainsi, selon lui, tandis qu’une série comme A la Maison Blanche (dont l’intrigue présente une « sorte de cabinet fantôme démocrate sous la présidence de Bush ») montre comment agiraient les Démocrates s’ils étaient au pouvoir, 24 heures a préparé les esprits américains à la possibilité d’avoir un président noir, incarné à l’écran par l’acteur Dennis Haysbert (David Palmer dans la série). D’ailleurs, « il est visible qu’Obama s’est appuyé aussi sur cette figure pour rendre acceptable sa propre figure de président »[6]. On retrouve ici le principe d’accoutumance morale puisque ces séries télévisés ont préparé les mentalités.

 

Citons également le cas danois, qui est à cet égard particulièrement révélateur. Diffusée à partir de septembre 2010, la série Borgen, qui « met en scène l’ascension au pouvoir (…) d’une femme charismatique », a clairement contribué à changer l’image des femmes en politique au Danemark. Quelques mois à peine après les débuts de la diffusion, la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt est devenue la première femme Première ministre du pays. Il semblerait également que la série ait « influencé les questions à l’agenda du vrai gouvernement danois » au cours de la troisième et dernière saison diffusée début 2013 (une proposition de loi évoquée dans la série a été reprise par le gouvernement et a suscité un réel débat national).

 

Figure 13 : Deux personnalités politiques et leurs « doubles » fictionnels anticipés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant le constat d’un rapport très présent entre pouvoir et séries dans les années 2000, Tristan Garcia explique que « (…) le fait d’utiliser un outil dont le téléspectateur a appris à considérer qu’il est un outil de connaissance du réel »[6] contribue à ces changements de mentalité. Il souligne à l’occasion de ces exemples l’idée d’une responsabilité significative des séries télévisées,

 

« (…) puisque ces séries (…) vont jouer à un jeu parfois dangereux avec la représentation politique, où elles se substituent parfois à la réalité politique, où elles inspirent les hommes [et les femmes] politiques »[6].

 

Du côté de la fiction française, nous constatons qu’elles évitent encore consciencieusement la politique et toute représentation du personnage politique.

 

 

 

Ainsi, après avoir déterminé les caractéristiques intrinsèques des séries télévisées qui en font un genre à part, nous avons confirmé notre seconde hypothèse d’une responsabilité spécifique à ce type de contenu. Nous avons identifié plusieurs problématiques de responsabilité, parmi lesquelles : des enjeux de reflet de la société dans toute sa diversité ; des enjeux associés au rôle cognitif des fictions, au travers de leurs fonctions pédagogiques ou de l’expérimentation morale qu’elles permettent ; enfin, des enjeux liés à l’influence potentielle de ces contenus sur nos perceptions, nos mentalités, voire nos choix idéologiques.

Nous proposons maintenant de voir à qui incombent ces responsabilités et de proposer quelques recommandations à partir de notre recherche.

 

 

 

[1] Le Naour (Jean-Yves). – Plus belle la vie : la boîte à histoires, op. cit. (p. 137).

[2] Entretien avec Sarah Belhassen, Scénariste de Plus belle la vie.

[3] Le Naour (Jean-Yves). – Plus belle la vie : la boîte à histoires, op. cit. (p. 144-145).

[4] Coste, Alexandre. « Comment les séries influent sur nos vies » Marianne, 03/12/2013.

[5] Entretien avec Catherine Lottier, Directrice de la veille et de la prospective programmes, France Télévision.

[6] Entretien avec Tristan Garcia, co-directeur de la série des séries, collection sur les séries télévisées aux PUF.

2ème partie

2.3. Faire bouger les lignes et les mentalités, la normalisation par les séries
2.3.2. Préparer et changer les mentalités

(c) Extrait de la vidéo de Slate.fr "West Wing Saison 8 : Barack Obama-Matt Santos (suite)" publiée sur le blog du documentaire "Mister President

>> Voir la vidéo complète

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Vidéo 4 : Comparaison des discours Obama / Santos

Lecture linéaire du mémoire

(c) DR

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"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"

Réflexion sur la notion de divertissement responsable,

dans le contexte audiovisuel français

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