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Mémoire > 2ème partie / Les séries télévisées, miroirs ou moteurs de la société :

   des enjeux de responsabilité spécifiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir vu le rôle cognitif des séries sur les individus, et les enjeux de responsabilité associés, intéressons-nous maintenant à leur faculté d’influence sur la société dans son ensemble. En introduction, nous citions la dénonciation par Amnesty International de la glorification et de la normalisation de la torture par certaines séries télévisées. Nous verrons, à partir d’exemples moins dramatiques et plus « positifs », dans quelle mesure les séries peuvent contribuer à faire évoluer les mentalités notamment par leur effet de banalisation.

 

 

2.3.1.   Plus qu'un miroir, un moteur : le "pouvoir" des séries

 

 

Un contenu particulièrement influent

 

Parce qu’elles sont fictions, parce qu’elles sollicitent autant l’intellect que l’émotionnel, parce qu’elles correspondent au récit de leur époque, les séries télévisées semblent plus efficaces pour faire passer des messages que d’autres programmes. Nous le voyons bien avec la tendance du storytelling, inspirée par les scénarii des meilleures séries : une histoire permet bien davantage de faire adhérer à un discours qu’une simple présentation. Et l’on saisit aisément ici l’ampleur des enjeux associés à ce type de contenu dit de divertissement. Comme le remarque Martin Winckler,

 

« Pour faire passer des idées et questionner la société, les fictions télévisées sont plus puissantes et plus libres que les débats en plateau, les sujets d’information et les reportages documentaires. »[1]

 

Le Media CSR Forum a identifié, dans son étude, six modes d’influence des contenus sur la société et en a évalué l’effet selon la finalité des contenus[2]. Ainsi, les programmes destinés à divertir sont les plus efficaces pour « inspirer » et « normaliser » certains phénomènes. Ayant relayé l’actualité liée à Amnesty International auprès de ce collectif, nous nous réjouissons qu’une réflexion soit envisagée autour du thème de la glorification par les médias, et notamment les fictions.

 

Bien que nous ne souscrivions pas à une approche de l’opinion qui « n’existerait que dans et par les médias [lesquels] la façonneraient ou l’orienteraient à leur manière »[3], nous souhaitons apprécier dans quelle mesure certains contenus de divertissement, les séries télévisées en l’occurrence, seraient capables de l’influencer. L’univers fictionnel ébranle certaines de nos croyances et « vient bousculer certaines de nos appréhensions de notre monde réel »[4]. Considérant le genre sériel comme l’art du XXIe siècle, Vincent Colonna estime que

 

« (…) certaines [séries télévisées] subsistent longtemps dans notre mémoire, changent notre façon de voir le monde et peuvent modifier jusqu’à notre comportement. » [5]

 

 

Vecteur d’idées progressistes, l’exemple américain

 

Pour la réalisatrice Agnieszka Holland, la fonction éducative des séries exerce une « influence sur les perceptions sociales, par exemple en ce qui concerne les homosexuels ou les Noirs aux Etats-Unis »[6]. En effet, l’histoire des séries américaines, et notamment des sitcoms, montre qu’elles ont non seulement reflété les interrogations majeures de l’époque, mais qu’elles en ont été aussi les porte-voix.

Comme nous l’a expliqué Arnaud Jalbert, « là où les grandes séries dramatiques n’osaient pas », « souvent les soap ont été aux Etats-Unis les premiers à aborder les sujets de société importants »[7]. Prenant le prétexte de leur ton léger, les séries comiques ont contribué à faire avancer la cause féministe : par exemple, dans la toute première sitcom, I Love Lucy, Lucy est une femme au foyer qui cherche à être financièrement indépendante de son mari ; ou encore la lutte antiraciste : la sitcom All in the Family a été un grand succès populaire aux Etats-Unis et « a contribué activement à dénoncer nombre de préjugés interethniques »[8].

 

Outre la comédie, des séries d’une autre nature assurent un rôle de critique sociale contribuant à faire évoluer les mentalités. Ainsi la science-fiction, à l’instar de Star Trek par exemple, recourt à la métaphore et à la paraphrase futuristes pour (mieux) parler de l’Amérique de l’époque : « A chaque épisode, elle prône le respect des différences et de la diversité des cultures »[9]. La série repousse même parfois les limites morales : alors que « les mariages interraciaux sont encore illégaux dans plusieurs Etats américains », un épisode diffusé en 1968 montre pour la première fois à l’écran un baiser « entre un homme blanc (le capitaine Kirk) et une femme noire (le lieutenant Uhura) ».

 

Encore aujourd’hui les séries des networks américains sont très souvent politiquement et sociétalement engagées. Elles affichent et assument ouvertement des prises de position (« contre la guerre en Irak », « la corruption », « les excès sécuritaires de l’après 11-septembre », « le réchauffement climatique »)[10] qui ne reflètent pas nécessairement la majorité de l’opinion américaine. Les séries télévisées sont bien des vecteurs d’idées, d’idéaux, voire d’idéologies, et cela les lies à d’importants enjeux de responsabilité.

 

 

 

 

[1] Winckler, Martin. « Ailleurs qu’en France, les télé-fictions sont plus libres, plus engagées, plus subversives que les émissions d’actualité ». Winckler’s Webzine, 2/04/2009.

[2] Voir en annexe l’extrait correspondant de l’étude « Mirrors or Movers? ».

[3] D'Almeida (Nicole). - La société du jugement, op. cit. (p. 21).

[4] Esquenazi (Jean-Pierre). « Séries télévisées et ‘réalités’ : les imaginaires sériels à la poursuite du réel » in Décoder les séries télévisées, op. cit. (p. 208-209).

[5] Ahl, Nils C., Serisier, Pierre., Winckler, Martin., Colonna, Vincent.,  « Les séries sont-elles le 10ème art ? », op. cit.

[6] Ahl, Nils C. « Art en séries ». Le Monde, 18/04/2013

[7] Entretien avec Arnaud Jalbert, Conseiller de programmes Fiction, Arte France.

[8] Winckler (Martin). - Petit éloge des séries télé, op. cit. (p. 90-91).

[9] Boutet (Marjolaine). « Histoire des séries télévisées » in Décoder les séries télévisées, op. cit. (p. 27).

[10] Boutet (Marjolaine), ibid. (p. 43).

2ème partie

2.3. Faire bouger les lignes et les mentalités, la normalisation par les séries
2.3.1. Plus qu'un miroir, un moteur : le "pouvoir" des séries
Anchor 18
Anchor 19

Lecture linéaire du mémoire

"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"

Réflexion sur la notion de divertissement responsable,

dans le contexte audiovisuel français

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