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Mémoire 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après un raccourci récurrent du développement durable au seul volet environnemental, il en est un autre qui semble avoir ralenti, si ce n’est induit en erreur, la prise de conscience des enjeux RSE des médias : l’expression « les médias » fait fréquemment référence aux seules activités journalistiques d’information ou d’investigation, oubliant les industries culturelles et créatives qui la composent.

Tout comme l’on distingue les contenus d’« information » de ceux de « divertissement », nous proposons dans cette étude de nous interroger sur les enjeux de responsabilité propres aux contenus de divertissement.

 

 

« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères » [1]

 

Avant de nous pencher sur les enjeux de responsabilité des contenus de divertissement, il convient de revenir à l’étymologie du mot. Aujourd’hui synonyme d’amusement ou de distraction amusante, le divertissement vient du latin divertere, « se détourner de ». Il recouvre un sens moral avec Blaise Pascal, qui, dans ses Pensées, argumente que « se divertir » revient à chercher à se détourner de penser à soi et à sa condition de mortel. L’homme étant faible et fragile, il n’est rien face à l’immensité de l’univers qui lui impose une perpétuelle humiliation.

Cette idée, Pascal l’a également reprise de la notion de « diversion » de Montaigne, qui désigne ainsi le fait de détourner son attention, que ce soit de la souffrance ou de la mort. Les deux auteurs s’accordent pour dire que l’homme a tendance à se divertir, mais tandis que pour Montaigne, la diversion est considérée de façon positive (évitement de la souffrance), pour Pascal, le divertissement est bien plus négatif (moyen pour l’homme de ne pas regarder la réalité en face). Le concept pascalien de divertissement est d’ailleurs à relier à celui de la « misère » dont il permet de se détourner.

Nous nous concentrerons ici sur le divertissement audiovisuel, qui trouvera certes ses racines dans la vision philosophique du XVIème siècle, mais qui revêt aujourd’hui pour nos téléspectateurs une fonction de distraction et de délassement. Contrairement à la notion pascalienne, beaucoup plus large puisqu’il intègre dans la catégorie des divertissements la chasse, ou encore « la conversation des femmes, la guerre et les grands emplois »[1], il s’agit effectivement plus prosaïquement d’oublier les soucis du quotidien en allumant le poste de télévision, une façon de se « vider le cerveau ».

 

 

De la diversité des divertissements

 

Il existe plusieurs classifications possibles des programmes audiovisuels. Ainsi, dans les études du CNC[2] (Centre national du cinéma et de l’image animée), l’on peut trouver différentes nomenclatures des genres de programmes  telles qu’utilisées par le CSA[3] ou par l’institut Médiamétrie-Médiamat[4]. Selon l’organisme et les études réalisées, la fiction télévisuelle constitue ainsi tantôt un sous-genre du divertissement, tantôt un type de programme à part entière.

Il est intéressant de noter qu’en matière de programmes audiovisuels, les américains utilisent le même mot, entertainment, pour désigner à la fois un divertissement-spectacle qui distrait celui qui le regarde et le divertissement-jeu, qui mise d’abord sur le gain, symbolique ou matériel du joueur, puis sur le plaisir du téléspectateur[5].

Par ailleurs, dans son étude intitulée Mirrors or Movers? publiée en juin 2013, le Media CSR Forum identifiait ainsi les trois finalités potentielles d’un contenu audiovisuel : « vendre », « informer », ou « distraire » [6].

 

Par souci de cohérence et de compréhension, nous nous placerons - dans le cadre de notre réflexion - dans cette optique de distinction des contenus audiovisuels selon leur principale « finalité ». Ainsi, nous entendrons par le terme de « divertissement », l’ensemble des programmes destinés ni à « vendre » ni à « informer » les téléspectateurs. Ils peuvent donc regrouper aussi bien les fictions, les jeux, les talk show, que les émissions de téléréalité par exemple.

 

 

Une société du divertissement

 

Depuis plusieurs années, en France, les contenus de divertissement semblent occuper un temps d’antenne croissant. Simultanément, ils imprègnent progressivement des programmes de toute nature (comme en témoignent les nombreux ouvrages et articles titrant sur « La politique saisie par le divertissement »[7] ou les succès des émissions dites d’infotainment – comme Le Petit Journal présenté par Yann Barthès sur Canal+ depuis 2004).

La dernière étude du CNC sur l’économie de la télévision (cf. figure 1) souligne l’évolution de l’offre et de la consommation des programmes par genre entre 2003 et 2012.

 

Figure 1 : Offre et consommation télévisuelle
selon le genre des programmes 2012 vs 2003 (%)
[8]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi, du côté de l’offre, le nombre d’heures de programmes des chaînes nationales gratuites a été multiplié par 3,7 en dix ans (de 43 000 heures en 2003 à plus de 160 000 heures en 2012), tandis que les chaînes de la TNT contribuaient à modifier la structure même des programmes. La figure 1 ci-avant permet de voir le poids considérable des contenus de divertissement. Ne serait-ce qu’en additionnant les parts des films, fictions télévisuelles, jeux et variétés, ces divertissements, qui occupaient 37% de l’offre de programmes en 2003, en occupaient 41% en 2012, soit une augmentation de 4 points.

Du côté de la demande, les divertissements constituaient, en 2003 comme en 2012, presque la moitié des programmes consommés par les téléspectateurs (respectivement 44% et 45%). Ainsi, et comme l’indiquaient Olivier Donnat et Dominique Pasquier suite à une étude sur les pratiques audiovisuelles des Français publiée en 2009, « la diversité des séries et feuilletons proposés est aujourd’hui considérable et ces programmes occupent encore plus qu’hier une place prépondérante dans les consommations audiovisuelles des Français »[9].

 

 

Des divertissements (ir)responsables ?

 

En se focalisant sur les contenus audiovisuels de divertissement, on observe que la logique économique du secteur des médias implique un certain type de contenus. Ces entreprises sont avant tout des entités économiques et doivent donc viser la rentabilité. Dans un contexte de concurrence exacerbée entre médias, cela se traduit par une course à l’audience, légitime certes, mais qui peut entrer en « contradiction » avec une logique de responsabilité. L’audimat semble en effet, a priori, généralement plébisciter des contenus de divertissement à caractère violent, sexuel (« frisson » [10]) ou à caractère comique, naïf mais rassurant (« cocon »).

En octobre 2012, au lendemain d’événements violents à Echirolles en Isère, Laurent Wauquiez, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, incriminait les séries télévisées américaines comme facteurs de diffusion de la violence dans la société française[11]. Outre les séries télévisées, les contenus de divertissement sont ainsi souvent pointés du doigt lors de faits de société faisant les Unes des journaux télévisés : pratique de jeux vidéos violents (affaire Breivik, tragédies dans des lycées aux Etats-Unis), éphémère et fulgurant statut de célébrité de la téléréalité (Nabilla, Loana, Steevy, FX,…). Notre propos n’est pas ici d’établir ou non le lien entre ces phénomènes, mais d’apprécier la légitimité de notre interrogation.

Nous aurions pu choisir de mener notre étude sur les programmes de téléréalité, pour lesquels les enjeux de responsabilité semblent particulièrement pertinents et explicites. Ce sujet a d’ailleurs été pris à bras le corps par le CSA dès ses premières émissions en France en 2001 (cf. entretien réalisé avec Madame Françoise Laborde). C’est notamment pour cette raison que nous avons décidé de ne pas retenir ce terrain d’étude, l’univers des fictions présentant – selon nous – des enjeux aussi cruciaux et pourtant encore très peu étudiés.

En outre, parler de « divertissement responsable » suppose un jugement de valeur ou un jugement moral qui peut entrer en contradiction avec le principe créatif lui-même. L’un des principes fondamentaux de l’univers des médias, que ceux-ci soient d’information ou culturels et créatifs, repose sur la liberté d’expression. En France, celle-ci est consacrée par de nombreuses déclarations universelles, à commencer par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Même si cette liberté d’expression n’est pas infinie, point sur lequel il nous faudra revenir au cours de nos travaux, la limiter a priori semble contradictoire voire en opposition avec l’acte de création, en risquant de la brider en amont.

 

Ainsi, la notion de « divertissement responsable » nous semble être en tension, tant du côté de « l’offre » que du côté de « la demande ».

 

 

 

 

[1] Pascal, Blaise. - Pensées, (éd. Brunschvicg n° 139).

[2] « L’économie de la télévision : financements, audience, programmes », Les études du CNC, novembre 2013.

[3] Classification des programmes selon le CSA : information, documentaire et magazine, cinéma, fiction TV et animation, divertissement (y compris la musique, le spectacle et les vidéo musiques), sport, autres.

[4] Classification des programmes selon Médiamétrie-Médiamat :

  • films, fictions télévisuelles, jeux, variétés, journaux télévisés, magazines & documentaires, sport, émission jeunesse, publicité, divers ;

  • fiction française, fiction étrangère, film français, film étranger, information, sport, divertissement, jeu, divers.

[5] Jost (François). - Comprendre la télévision et ses programmes. - Paris : Armand Colin, 2012. (p.96).

[6] Voir, en annexe, l’extrait correspondant de l’étude « Mirrors or Movers? ».

[7] Voir notamment La politique saisie par le divertissement / sous la direction d’Erik Neveu. - Paris : La Découverte, 2003.

[8] « L’économie de la télévision… », Les études du CNC, op. cit. (p. 26).

[9] Les séries télévisées / dossier coordonné par Olivier Donnat et Dominique Pasquier. - Paris : La Découverte, 2011. - (p. 11).

[10] Véran (Lucien). « Performance des fictions françaises dans une économie de la télécommande » in L’appel du divertissement / sous la direction de François Jost, 2013. (p. 153).

[11] « VIDEO. "Les séries télé américaines contribuent à la diffusion de la violence", selon Wauquiez », Francetvinfo, 03/10/2012.

 

Introduction

Le "divertissement responsable", une notion en tension
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Lecture linéaire du mémoire

"Les enjeux de responsabilité associés aux séries télévisées"

Réflexion sur la notion de divertissement responsable,

dans le contexte audiovisuel français

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